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Pays émergents : l’économie informelle, un avantage concurrentiel pour les exportateurs – The Conversation

Olivier Lamotte, EM Normandie – UGEI; Ana Colovic, Neoma Business School; Octavio Escobar, EM Normandie – UGEI et Pierre-Xavier Meschi, IAE Aix-Marseille Graduate School of Management – Aix-Marseille Université, le 16 mars 2022

La crise sanitaire a provoqué une réduction drastique du commerce international. Cependant, à y regarder de plus près, l’ampleur de cette réduction n’a pas été la même pour les pays avancés (-22 % entre janvier et avril 2020) et les émergents (-7 % sur la même période). Cette résilience des exportations des pays émergents face à la crise sanitaire s’inscrit dans une tendance plus large qui voit, au cours des années 2010, la croissance de leurs exportations rattraper puis dépasser celle des pays avancés.

Cette dynamique des exportations des pays émergents pourrait s’expliquer en partie par le rôle joué par l’économie informelle, qui leur confère un avantage concurrentiel.

L’économie informelle est composée d’entreprises non enregistrées auprès des autorités et de travailleurs sans contrat de travail. La production légale de biens et de services, cachée aux pouvoirs publics pour des raisons monétaires, réglementaires ou institutionnelles, participerait ainsi à la construction de l’avantage concurrentiel de certains exportateurs émergents.

Selon les dernières estimations du Bureau international du travail (BIT), l’économie informelle pèse significativement au niveau mondial : environ un tiers de la production de richesses et plus de deux tiers de l’emploi. Dans certains pays émergents, en Afrique subsaharienne notamment, les chiffres sont plus élevés ; l’économie informelle représentant 62 % du PIB officiel et l’emploi informel 90 % de l’emploi total.

L’étude empirique que nous avons menée auprès d’une population de plusieurs milliers d’entreprises mexicaines, récemment publiée dans la revue Industrial and Corporate Change, confirme l’influence de l’économie informelle sur les performances à l’export.

 

Le Mexique est relativement représentatif du phénomène, puisque c’est le principal exportateur d’Amérique latine, mais également un pays dans lequel plus de 50 % des travailleurs opèrent de manière informelle.

Coût et flexibilité

Nos résultats montrent que plus les entreprises formelles s’approvisionnent auprès d’industries dans lesquelles le niveau d’informalité est élevé, plus elles sont susceptibles d’exporter et de générer des volumes d’export élevés. De fait, lorsqu’elles s’approvisionnent auprès de l’économie informelle, les entreprises formelles peuvent bénéficier d’un avantage concurrentiel en termes de coût et de flexibilité, et cela en activant plusieurs mécanismes.

Premièrement, les entreprises formelles peuvent tirer un avantage direct dans leur coût de production des économies réalisées en s’approvisionnant auprès d’entreprises informelles, qui ne payent pas (ou peu) d’impôts et de charges sociales.

Deuxièmement, les entreprises formelles peuvent imposer leurs conditions tarifaires aux fournisseurs informels, du fait d’un pouvoir de négociation supérieur ; les fournisseurs informels dépendant souvent d’un seul client.

Troisièmement, la pression à la baisse des prix engendrée par la concurrence entre les nombreuses entreprises informelles contraint les fournisseurs formels des mêmes industries à baisser leurs prix. Cela peut même conduire ces derniers à recruter des travailleurs informels pour rester compétitifs face aux fournisseurs informels.

Quatrièmement, les transactions avec les fournisseurs de l’économie informelle sont moins coûteuses et plus flexibles, du fait de l’absence de contrats.

Cinquièmement, le recours à des fournisseurs informels permet une plus grande flexibilité en termes de volume de production ; ceux-ci ayant une plus grande facilité à accroître le nombre d’heures de travail de leurs employés ou à recruter de nouveaux employés pour faire face à une demande accrue et soudaine.

Pressions réglementaires

Ces mécanismes et les gains en termes de coût et de flexibilité liés au recours à l’économie informelle ont été documentés dans la plupart des pays émergents et pour plusieurs secteurs d’exportation. Il s’agit par exemple des secteurs des fruits au Chili et en Afrique du Sud, du cuir au Kenya, des téléphones portables en Chine et en Inde, des vêtements en Thaïlande et aux Philippines, des ballons de football et articles de sport en Chine, en Inde et au Pakistan.

Toutefois, au Mexique comme dans les autres pays émergents, dans un contexte international où les réglementations commerciales intègrent de plus en plus les dimensions sociales et environnementales, les exportateurs des pays émergents sont soumis à une pression accrue des organisations non gouvernementales, des clients, des régulateurs et des gouvernements, des pays avancés notamment.

Les exportations sont désormais souvent conditionnées au respect du droit du travail et à des mécanismes rigoureux de traçabilité de non-recours à l’économie informelle dans les pays d’origine des exportateurs. Cela modifie la relation économique entre les économies formelle et informelle dans ces pays et conduit progressivement à une réorganisation des chaînes de valeur mondiales, avec des conséquences pour les acteurs économiques des pays émergents, notamment les plus vulnérables.

Olivier Lamotte, Professeur en économie et stratégie internationales – Professor of international economics and strategy, EM Normandie – UGEI; Ana Colovic, Professeur de stratégie et de management international/ Professor of Strategy and International Business, Neoma Business School; Octavio Escobar, Professor of Economics, EM Normandie – UGEI et Pierre-Xavier Meschi, Professeur des Universités, IAE Aix-Marseille Graduate School of Management – Aix-Marseille Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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